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L’année dernière, nous avons laissé Camille Bertrand coincée au Maroc par la pandémie. Elle avait commencé une collaboration avec une coopérative de brodeuses aux portes du désert, mais les déplacements étant interdis, elle s’était focalisée dans la mise en place d’un atelier de teinture textile, tout en se mettant à la culture des plantes nécessaires.

Précédents épisodes: Découverte de la Broderie Miao ; Au Maroc, naissance d’une entreprise de broderie

Alentours de l’association Tiwizi, avec vue sur l’Atlas entre Marrakech et Agadir © Camille Bertrand

Un an après, c’est au sud de Lyon que nous la retrouvons, là encore coincée par la Pandémie ! Pour une « brodeuse voyageuse », c’est une situation incongrue ! De passage en France pour donner des cours de broderie, de teinture naturelle et d’impression de tissu, elle a appris que les vols vers le Maroc étaient supprimés pour une durée indéterminée.

Il lui faut donc encore une fois revoir ses plans. Mais la jeune femme est déterminée, pleine d’énergie créative et d’humour sur sa situation.

Broderie Berbère (Coopérative Amezrou) – Zoom sur les mains des brodeuses au travail sur une commande pour Brodeuse Voyageuse © Camille Bertrand

Depuis notre dernière conversation, Camille a décidé de s’installer définitivement au Maroc. Après le premier (et seul) confinement, elle a pu retrouver ses brodeuses berbères de Zagora et travailler avec elles sur des projets de plus en plus intéressants. Les points traditionnels sont très courant (chaînette, feston, épine, etc.) mais c’est la manière avec laquelle ils sont réalisés qui est unique aux femmes berbères. Il faut comprendre qu’elles brodent normalement assises par terre, sans confort, sans loupe ou lumière adaptée et le tout se fait en bavardant. Les points sont donc assez libres, chacune brode selon son envie. Pour obtenir les broderies qu’elle attend, Camille commence par réaliser un échantillon. Celui-ci est ensuite tout simplement copié. Beaucoup plus simple ainsi, que de longues explications !
Ces échantillons permettent ensuite à Camille de montrer ce que peut être fait aux Maison de Haute Couture, tout en assurant les revenus nécessaires par la vente de petits accessoires.

Broderie Berbère (Coopérative Amezrou) – Voile brodé réalisé par les générations précédentes, dans le village d’Amerou © Camille Bertrand

Pendant le confinement, les 5 frères qui ont créé cette coopérative ont fait des recherches et ont retrouvé des voiles et des foulards brodés par les générations précédentes. Ces travaux sont assez différents des broderies d’aujourd’hui même si on retrouve facilement le lien. Ce sont les mêmes points, les mêmes motifs aussi, mais plus complexes et plus fréquents. Ce sont toujours des motifs très organiques, dont la symbolique s’est perdue (les recherches menées par Camille à ce niveau n’ont rien donné mais si vous connaissez quelque chose, n’hésitez pas à nous le signaler !). Les brodeuses d’aujourd’hui ont surtout développé les bords en ajoutant des fils noués (comme le macramé), des pompons, etc.
Devant fournir elles-mêmes les tissus, les brodeuses avaient choisies du polyester, moins coûteux. Camille amène son tissu et ses fils naturels, et la broderie retrouve ainsi ses teintes et l’aspect qu’elle avait autrefois.

Entrée de la coopérative d’Amezrou © Camille Bertrand

 

Les foulards brodés aujourd’hui et portés par les femmes de la vallée du Drâa © Camille Bertrand

 

Broderie Berbère (Coopérative Amezrou) – Pochettes réalisées avec les broderies berbère de la coopérative © Camille Bertrand

Ces exercices qui poussent les brodeuses à travailler avec d’autres matières sont parfaits pour la suite. Le rêve de Camille est d’être une « intermédiaire d’artisanat d’excellence » en travaillant avec des maisons de haute couture en France. L’une d’elle a demandé des échantillons de broderie à réaliser sur des tissus spécifiques, selon des limites précises. Un challenge pour la jeune femme qui doit ajuster le travail d’un côté comme de l’autre avec beaucoup de diplomatie !

Broderie Berbère en fils de soie teintés de Camomille et Garance marocaine sur un coton imprimé en sérigraphie naturelle © Camille Bertrand

 

Moutons Tighaline d’Anne à Ait Bougmez © Camille Bertrand

Les tissus et fils viennent de France et de Chine : Camille a travaillé avec des femmes Miao et a pu revenir avec de magnifiques soies indigo. En France, elle se rend dans les usines, les ateliers qui produisent beaucoup de restes. Elle prend ces fins de stock de soie écrue qu’elle teint dans son atelier. Elle s’est ainsi retrouvée avec plus de 50 kg de soie ! Impossible de broder tout cela.
C’est alors qu’elle rencontre Anne, une Belge fascinée par la vie nomade des Berbères. Au Maroc, les moutons sont principalement une source de viande. Plus ils sont gros, mieux c’est. Si leur laine est parfaite pour faire des tapis, elle est malheureusement trop courte pour être brodée.
Anne cherche à recréer un troupeau de moutons endémiques au Maroc (les Tighaline), qui ont presque disparus. Elle les élèves dans la vallée d’Ait Bougmez.
Les fils obtenus de leur laine sont beaucoup plus longs et plus fins. Essais, tests, début d’une aventure 100% Marocaine, peut-être un jour…

Première collection de coussin et tapis tissés main et réalisés en laine et soie en collaboration avec une coopérative de femmes dans l’Atlas © Camille Bertrand

Les tapis marocains sont bien connus, ils font partie du patrimoine culturel du pays. Camille rencontre une coopérative qui en tissent. Ils utilisent de la laine sans se poser de question sur sa provenance. Pour fabriquer un tapis, on prépare les fils de chaînes sur un métier vertical. Puis on tisse les fils de trames. Camille propose de créer les motifs traditionnels avec de la soie, ces mêmes motifs qu’elle utilise pour ses broderies. La différence de taille fait que pour un fil de laine, il faut 8 fils de soie pour faire un point. Mais l’idée prend. La laine est tissée et les motifs brodés aux fils de soie. Cela demande du temps, mais le résultat est prometteur.

Broderie Rozlaby (Association Tiwizi) en fils de soie teintés de Camomille marocaine sur coton teinté de cachou pour Brodeuse Voyageuse © Camille Bertrand

Elle rencontre encore une Française installée à Marrakech qui a une boutique de linge de maison brodés par un groupes de femmes. Cette association (Tiwizi), située au milieu de nulle part, entre Marrakech et Agadir, pratique une broderie très peu connue au Maroc (Rozlaby). Les motifs, géométriques, reprennent le tissage du tissu. Depuis une dizaine d’année, ces brodeuses font du linge de maison en lin, avec des fils DMC, toujours les mêmes couleurs.

Pochette brodée de la maman d’une des brodeuses de l’association Tiwizi. C’est en fil de polyamide sur plastique tissé © Camille Bertrand

 

Broderie Berbère faite avec du fil de la laine des moutons d’Anne dans la vallée d’Ait Bougmez. Les teintures sont réalisées dans l’atelier de Brodeuse Voyageuse © Camille Bertrand

Camille leur propose d’essayer de travailler sur d’autres tissus avec d’autres couleurs. Comme il faut suivre la trame, les possibilités de changement sont limitées, mais pas inexistantes. Comme les tissus sont eux aussi limités, le travail avec les maisons de Haute Couture semble difficile.  Camille se tourne alors vers Safea, une marocaine vivant en Allemagne et qui a sa propre ligne de vêtements, Hedo. Elle a acheté une pochette décorée par cette technique, a compris le type de tissu nécessaire, l’a envoyé et celui-ci a été brodé. Camille me dit sa hâte de pouvoir voir de près cette réalisation !
Une lectrice du blog de Camille a soulevé une question intéressante : en Yougoslavie, on retrouve cette même technique, moins finement exécutée. Quel est le lien historique entre ces techniques ? Quelle curieuse aventure humaine se cache derrière ce « voyage » ?

La brodeuse voyageuse n’a pas encore tout à fait posé son sac…

Site : http://brodeuse-voyageuse.com/