Acupictrix (dr Jessica Grimm) est une brodeuse professionnelle, doublée d’une historienne diplômée. Son blog est toujours riche des découvertes qu’elle fait in situ. Jessica a eu la gentillesse d’accepter que je traduise ici son dernier petit article sur les délicieuses perles d’eau douce utilisées à la fin du Moyen-Age en broderie.
Texte – dr Jessica Grimm (article original ici)
Traduction – Claire de Pourtalès

Détail du Marienmantel des habits de l’Ordre de la Toison d’Or 1430-40, (Trésor Impérial de Vienne, inv. Nr. 21)
Si vous aimez embellir votre broderie avec des perles, vous vous référez à une très vieille tradition. Les broderies d’or en particulier ont été rendues encore plus raffinées en ajoutant des perles d’eau douce, des perles de pierres précieuses, de corail ou de métal. Si vous utilisez des perles dans votre broderie vous savez l’importance de bien les sécuriser pour ne pas courir le risque de les voir se détacher. Il n’est pas étonnant que de nombreuses perles aient maintenant disparu des broderies médiévales. Cependant, elles ont laissé des traces sur les pièces originales et dans les sources contemporaines. Explorons !

Détail d’une chasuble réalisée vers 1400, conservée au Musée diocésain de Bamberg
Sur les broderies médiévales elles-mêmes, vous voyez souvent ces zones de rembourrage épais en ficelle blanche. Elles sont parfois identifiées dans les sources bibliographiques comme étant de la soie, du coton ou du lin. Des perles d’eau douce, en particulier, auraient été attachées sur ce rembourrage de ficelle blanche. Cela signifie non seulement que la texture est ajoutée à la broderie, mais cela garantit également que la lumière attrape les perles en premier et les fait ressortir encore plus. Après tout, lorsque vous dépensez beaucoup d’argent pour ces embellissements supplémentaires, vous voulez que les spectateurs prennent note de votre générosité.

Mitre brodée de perles porté par le cardinal Albrecht von Brandenburg et peint par Mathias Grünewald en 1523
Pour connaitre l’utilisation de ces perles médiévale en broderie, regardons les nombreuses peintures qui représentent les prélats de l’Eglise dans leurs plus beaux atours. Certains peintres étaient spécialisés dans le rendu fidèle des broderies coûteuses sur ces vêtements. Peut-être parce que ce sont eux aussi qui ont réalisé les dessins de conception de ces broderies. Par exemple, le peintre Mathias Grünewald a fidèlement peint la mitre brodée de perles réalisée par son ami le brodeur de soie Pflock (Halm, 1957).

Détail du Marienmantel des habits de l’Ordre de la Toison d’Or 1430-40, (Trésor Impérial de Vienne, inv. Nr. 21)
Et notre troisième source est une collection de livres écrits par le moine Théophile au 12ème siècle sur une gamme de métiers : Schedula diversarum artium. Vous pouvez trouver une collection de toutes les versions connues de ce manuscrit ainsi que trois traductions (Dodwell pour l’anglais, Ilg pour l’Allemand et Escalopier pour le français) sur le site Web de l’Université de Cologne.
La traduction française du passage sur l’utilisation des perles d’eau douce se lit comme suit : “Les perles se trouvent dans les coquillages de la mer et d’autres eaux. Elles sont percées avec une fine perceuse en acier, qui est fixée dans un manche en bois et un bloc de bois [en haut]. Sur le manche se trouve une petite roue de plomb et, attaché à lui, est un arc par lequel il est tourné. S’il est nécessaire que le trou d’une perle soit agrandi, un fil y est inséré avec un peu de sable fin. Une extrémité du fil est maintenue dans les dents, l’autre dans la main gauche, la perle est déplacée de haut en bas avec la droite, et du sable est appliqué entre-temps pour élargir le trou. La nacre est également découpée en morceaux. Ceux-ci sont façonnés en perles avec la lime. Ils sont plus utiles sur l’or et sont polis comme ci-dessus.” Les perles sont si petites (1-1,5 mm), et leurs trous donc encore plus petits, que les perles aux attaches devenues lâches ne peuvent être re-fixées pendant la restauration qu’à l’aide d’aiguilles chirurgicales fines (Herrmann, 1975).
Vous pouvez avoir une meilleure idée de la fabrication des perles en regardant les dessins de la Hausbücher du Nürnberg Zwölfbrüderstiftungen. Il y a trois représentations de moines travaillant avec une perceuse à violon qui sert ici pour percer des perles pour un chapelet. La plus ancienne date d’avant 1414. Du même Hausbücher, nous avons une représentation du frère Alexander Hohlfelder. Il fut emmené à l’hospice le 3 avril 1626 alors qu’il avait 80 ans. Alexander avait perdu la parole et était probablement atteint de démence lorsqu’ils l’ont accueilli. Il est décédé deux ans plus tard, à l’hospice. Alexander avait été un Seidensticker (brodeur de soie) et est représenté avec un plat de perles rempli de ce qui ressemble à des perles d’eau douce.
Bibliographie
Halm, P., 1957. Matthias Grünewald: Die Erasmus-Maurice-Tafel. Reclam, Stuttgart.
Hermann, H., 1975. Die Restaurierung einer spätmittelalterlichen Perlenstickerei, Maltechnik restauro 81 (3), p. 113-115.