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Article publié par le Victoria and Albert Museum. Traduction – Claire de Pourtalès
Lien vers l’article original en Anglais: https://www.vam.ac.uk/articles/indian-embroidery

Notre collection de textiles indiens va des rares pièces de cour aux fragments archéologiques, en passant par les vêtements et tissus de tous les jours, du 14ème siècle à nos jours. La broderie reste l’une des traditions textiles les plus reconnaissables et les plus prisées de l’Inde. Découvrez huit des formes les plus connues de broderie indienne traditionnelle et comment ces techniques sont aujourd’hui adaptées pour donner à l’histoire textile de l’Inde une nouvelle pertinence mondiale.

Point de chaînette
La broderie au point de chaînette extrêmement précise du Gujarat, travaillée par des brodeurs (hommes) professionnels, était si fine qu’elle était recherchée par les membres de la cour Mongole de l’Inde (début du 16ème – milieu du 19ème siècle). Un exemple particulièrement étonnant de notre collection est un manteau de chasse en satin brodé de soie du début du 17ème siècle.

Manteau de chasse, satin brodé de soie, fabricants inconnus, vers 1620 – 30, associé à la communauté gujarati Mochi, Inde. Musée no. IS.18-1947 © Victoria and Albert Museum, Londres

 

Tenture, coton brodé avec du fil de soie, fabricants inconnus, vers 1700, Gujarat, Inde. Musée no. IS.155-1953 © Victoria and Albert Museum, Londres

Les points de chaînette gujarati étaient également commercialisés en Occident par l’intermédiaire de la Compagnie des Indes orientales aux 16ème, 17ème et 18ème siècles ; les motifs exotiques sont devenus populaires en Europe pour les meubles et les tentures de lit.
La broderie type Ari est une sorte de point de chaînette réalisé à l’aide d’une aiguille crochetée appelée poinçon. La technique est probablement originaire de la communauté Mochi, un groupe qui fabriquait et réparait traditionnellement des chaussures. Développé à l’origine pour broder des éléments décoratifs sur des chaussures en cuir et des ornements pour chevaux (harnais et revêtements décoratifs), cette technique a ensuite été adaptée pour être utilisée sur du tissu.

Cette vidéo montre la technique Ari utilisée pour fabriquer une lehnga (jupe) – du contour tracé au produit fini – à l’atelier de broderie Sankalan à Jaipur, Rajasthan : https://youtu.be/kbyE1JEJug0

Zardozi
Le nom de cette technique est dérivé de deux mots : zar (or) et dozi (travail). Zardozi est une forme extravagante de broderie caractérisée par l’utilisation de fils et d’embellissements enveloppés d’or ou d’argent. Il existe de nombreuses variétés de zardozi: une forme, appelée travail de tilla, est créée en tordant du fil enveloppé d’or et d’argent en de minuscules spirales qui sont couchées pour les maintenir en place.
Zardozi était une forme de broderie préférée pour les meubles de palais et les ornements d’animaux en Inde au cours des 18ème et 19ème siècles, et est toujours utilisée pour décorer des vêtements d’occasion spéciale, bien que le coût des matériaux signifie que les formes modernes de cette broderie utilisent souvent des imitations de l’or ou de l’argent.

Robe, laine et soie avec broderie d’or, fabricants inconnus, vers 1855, Amritsar, Inde. Musée no. 0197 (EST) © Victoria and Albert Museum, Londres

Bandeau pour chapeau, mousseline brodée de coton et soie tasar, fabricants inconnus, début du 20ème siècle, Lucknow, Inde. Musée no. IS.57A-1968 © Victoria and Albert Museum, Londres

Chikan
Chikan est une broderie blanche travaillée en points très fins sur des tissus de coton délicats. Les plus beaux exemples sont généralement attribués à Lucknow (la capitale de l’État de l’Uttar Pradesh dans le nord de l’Inde), qui se spécialise dans la technique. Traditionnellement, les textiles chikan sont collaboratifs : les brodeurs spécialisés travaillent des points particuliers puis confient la pièce à quelqu’un d’autre pour l’étape suivante. Extrêmement laborieux, le chikan utilise un répertoire d’environ 35 points différents qui peuvent être divisés en trois groupes : points plats, points en relief et points sur rembourrage. On trouve aussi les “Jaalis”, des points ouverts en forme de treillis dans lesquels de minuscules trous sont créés dans le tissu. La technique Chikan utilise presque toujours des dessins ou des motifs floraux et le travail est généralement très complexe.

Couvre-lit, coton brodé et matelassé, fabricants inconnus, début du 20ème siècle, Bangladesh. Musée no. IS.61-1981 © Victoria and Albert Museum, Londres

Kantha
Type de broderie du Bengale occidental et du Bangladesh, les kanthas sont des nattes, des couvertures, des couvre-lits et d’autres textiles ménagers traditionnellement fabriqués à partir de vêtements anciens et usés, tels que les saris (vêtement de femme porté drapé autour du corps) ou les dhotis (vêtement d’homme drapé autour du bas du corps). Les couches de ce tissu recyclé sont matelassées ensemble avec un simple point avant, et des motifs brodés sont ajoutés à l’aide de points de reprise, de passé plat et de points de feston, entre autres. Traditionnellement, le fil à broder coloré était tiré des bordures des vieux vêtements utilisés pour fabriquer le kantha.
La tradition kantha transforme des textiles usés, qui autrement auraient été jetés, en de belles pièces aux dessins uniques et personnels.

En savoir plus sur kantha dans nos collections.

Couvre-lit, coton brodé et matelassé, fabricants inconnus, début du 20ème siècle, Bengale. Musée no. IS.62-1981 © Victoria and Albert Museum, Londres

 

Jupe en coton teint indigo, brodée de soie jaune (phulkari), fabricants inconnus, vers 1867, Bannu, Pakistan. Musée no. 05668 (EST) © Victoria and Albert Museum, Londres

Phulkari
La broderie traditionnelle du Panjab (une zone englobant des parties du nord de l’Inde et de l’est du Pakistan), phulkari (littéralement, “travail des fleurs”‘) est travaillée avec un simple point de reprise à partir du revers d’un tissu de coton tissé à la main, généralement teint en rouge terre cuite ou bleu indigo. Le fil de soie est filé, légèrement mouliné ce qui donne un lustré magnifique.
Il existe de nombreux styles de broderie phulkari, reflétant le riche mélange culturel et religieux de la région du Panjab. Les pièces les plus fines sont des couvre-chefs dans lesquels presque tout le tissu est recouvert de broderies denses. Ceux-ci sont appelés bagh (jardin) et sont traditionnellement fabriqués pour les mariages. Un seul bagh peut prendre plus d’un an.

Couvre-chef, coton brodé de fil de soie, fabricants inconnus, début du XXe siècle, Panjab. Musée no. IS.24-1983 © Victoria and Albert Museum, Londres

 

Tenture murale, coton brodé de soie, paillettes et miroir-verre, fabricants inconnus, milieu du 20ème siècle, Gujarat, Inde. Musée no. IS.18-1967 © Victoria and Albert Museum, Londres.

 

Shicha
La shisha (verre) ou la broderie de miroir est la plus courante dans les États du nord-ouest de l’Inde. Kutch, dans le district du Gujarat, est une source particulièrement riche. Au-delà d’un usage purement décoratif, certaines communautés pensent que le miroir est de bon augure en tant qu’outil pour conjurer le mauvais œil, reflétant la malchance et les mauvais esprits loin du porteur.
Les éléments réfléchissants de la broderie shicha peuvent avoir été à l’origine développés à partir de l’utilisation de mica naturel (un minéral avec une surface brillante). Cependant, à partir du 19ème siècle, des pièces de miroir spécialement fabriquées étaient largement disponibles. Traditionnellement, ce verre était soufflé à la main, puis découpé en différentes formes, à l’aide de ciseaux spéciaux humidifiés pour empêcher les éclats de se disperser. Aujourd’hui, le verre fabriqué en usine est plus épais.

Tunique pour garçon, coton brodé avec des fils de soie et des miroirs appliqués, fabricants inconnus, début du 20ème siècle, Sindh, Pakistan. Musée no. IS.18-1981 © Victoria and Albert Museum, Londres.

Ailes de scarabée
Les tissus richement décorés avec les ailes (élytres) irisés des coléoptères Buprestidae (mieux connus sous le nom de scarabées bijou) étaient particulièrement à la mode au 19ème siècle, bien que la technique soit probablement beaucoup plus ancienne. Les ailes étaient percées de trous et coupées puis cousus directement sur le tissu. Les conceptions ont été construites à l’aide de centaines d’ailes, souvent en combinaison avec du fil et des ornements dorés.

Les élytres irisés scintillaient sur les couvre-chefs, les chemisiers et les accessoires. La broderie d’ailes de scarabée est également devenue populaire auprès des femmes occidentales qui confectionnaient des robes et des accessoires à partir de mousselines et de filets brodés d’ailes de scarabée. La couleur émeraude chatoyante n’est pas une pigmentation mais le résultat de la structure microscopique des élytres eux-mêmes, qui reflète naturellement la lumière vert bleu. Bien qu’ils aient été appréciés pour la permanence de leur couleur, leur durabilité et leur dureté relative, les élytres étaient encore fragiles et pouvaient se casser, ils étaient donc souvent utilisés uniquement dans des espaces réduits.

Tissu de robe brodé d’ailes de scarabée, fabricants inconnus, 1858, Hyderabad, Inde. Musée no. 4498 : 1 / (EST) © Victoria and Albert Museum, Londres

 

Textile, mousseline tissée unie brodée d’ailes de scarabée et fil d’or couché, fabricants inconnus, 19ème siècle, Inde. Musée no. IS.468-1992 © Victoria and Albert Museum, Londres

 

Sac Banjara, brodé de coton et de coquillages cauris, fabricants inconnus, 20ème siècle, Karnataka, Inde. Musée no. IS.474-1993 © Victoria and Albert Museum, Londres

Banjara
La communauté Banjara est issue de tribus nomades qui travaillaient comme fournisseurs itinérants de bétail, de sel et de céréales aux armées mongoles. Leur broderie colorée distinctive incarne cette tradition, étant utilisée pour aider à fabriquer des vêtements robustes et des sacs de rangement capables de résister aux rigueurs quotidiennes d’une vie constamment en mouvement.
Les femmes Banjara portent souvent des robes colorées et des bijoux lourds. Les articles brodés dans les ménages Banjara sont également frappants, avec des surfaces entières souvent remplies de motifs géométriques colorés. Les points utilisés dans cette forme de broderie sont des variations du point florentin en forme de flamme (également appelé Bargello), du petit point (cousu en diagonale) et du passé plat (points plats qui recouvrent entièrement une section de tissu). Les pièces sont souvent agrémentées de pompons, de coquillages cauris et de miroirs.

Rumal (couverture), coton appliqué et brodé de soie et de coquillages cauris, fabricants inconnus, 20ème siècle, Khandesh, Inde. Musée no. IS.476-1993 © Victoria and Albert Museum, Londres

 

Ensemble jupe et haut, appliqués, broderies et ornements lourds avec des perles de cristal et des paillettes, conçu par Manish Arora, fabriqué par Three Clothing Company, 2014 – 15, Noida, Inde. Musée no. IS.60 : 1 à 3-2016 © Victoria and Albert Museum, Londres

Aujourd’hui
Aujourd’hui, les designers contemporains adaptent les techniques de broderie traditionnelles indiennes pour créer des modes modernes. Né à Mumbai, le designer contemporain Manish Arora repense la broderie, les appliques et les perles traditionnelles indiennes, en appliquant ces techniques avec un niveau de détail époustouflant pour créer des vêtements qui célèbrent les compétences de la fabrication à la main. L’ensemble jupe et haut Haute Couture de notre collection est typique de son travail, inspiré de son héritage indien mais avec une touche contemporaine et une vision internationale. La jupe supérieure est en soie avec des appliques dorées, brodées de perles de cristal, de perles et de paillettes, tandis que le haut en jersey est décoré de bandes irisées, de métaux et de perles.

Regardez la vidéo pour en savoir plus sur le travail de Manish Arora : https://youtu.be/BceP90-KwKo