
Robe de cour, Chine, avant 1820 © Search Press
La broderie d’or en Chine
La broderie d’or remonterait à la Chine Ancienne et serait venue en Europe avec les marchands de soie.
En Chine, où l’usage des couleurs et des matières était strictement réglée, la broderie d’or était réservée aux vêtements de cérémonie, comme les tuniques et les marques hiérarchiques, et bien sûr les vêtements impériaux. Les fils d’or étaient brodés en spirales pour dessiner des dragons, des oiseaux et des monstres, ou posés par pair en lignes fines pour créer des nuages stylisés ou mettre en lumière les broderies de soie.
La broderie d’or se répand dans le monde
Des passages de l’Ancien Testament décrivent les techniques de fils d’or travaillés sur du lin. Peu à peu, la broderie d’or se répend au Moyen Orient à la fois à la cour et pour les ornements de cérémonies. Tyr, devient alors le centre de la broderie d’or et de son commerce, contrôlé par les Byzantins.
Le voyage de la broderie d’or s’est poursuivi par l’Afrique du Nord et l’Espagne jusqu’en Europe de l’Ouest, puis vers les Iles britanniques, la Scandinavie et l’Amérique du Nord.
Opus Anglicanum
La popularité – au sein de l’aristocratie et du clergé – de cette technique a donné lieu à une maitrise de plus en plus fine et une richesse de points et de motifs toujours plus grands. Le terme « Opus Anglicanum » signifie « Ouvrage à l’anglaise » et désigne la production anglaise du XII-XVème siècles, en particulier les broderies ecclésiales.
Travaillées sur des pièces de lin, les caractéristiques principales de l’Opus Anglicanum sont les scènes religieuses figuratives, brodées principalement au point fendu (fils de soie), ainsi que l’usage important de la couchure à l’arrière du tissu pour le fond. Cette technique – couchure à points invisibles ou Underside couching – est apparue au milieu du XIIème siècle. Il s’agissait de tirer le fil décorant à l’arrière du tissu par un point de couchure pour qu’aucun point ne soit visible sur le devant. Les points formaient alors des motifs particulièrement complexes et comme les fils de couchure étaient à l’arrière du tissu, l’ombre ainsi créée apparaissait clairement sur l’endroit. Cette méthode assurait aussi une grande fluidité aux vêtements ainsi brodés.
Les pièces d’Opus Anglicanum les plus anciennes conservées à ce jour sont une étole et une manipule de St Cuthbert, datant de 901 et 916, conservées à la bibliothèque de la cathédrale de Durham. Les deux pièces portent des inscriptions au dos, mentionnant qu’elles ont été réalisées sur ordre de la reine Aelfflaed comme cadeau à l’évêque de Winchester. Les personnages, feuillages et lettrages sont brodés au fil de soie le plus fin. Le fond et les auréoles sont brodées avec des fils d’or. Les points de couchure sont réalisés tous les 5 millimètres avec des fils de soie aux multiples couleurs. Ils forment des motifs géométriques variés.
L’Opus Anglicanum a connu son apogée entre 1250 et 1350. Il suffisait alors que l’œuvre ait été travaillée par des mains anglaises pour prouver sa haute valeur. On trouve ainsi un inventaire du Vatican de 1295 mentionnant plus de 110 pièces réalisées avec cette technique.
Le savoir-faire de la broderie d’or se transmettait d’une génération à l’autre – même si certains couvents se spécialisaient aussi dans ce travail pour les vêtements sacerdotaux. Certaines œuvres demandaient plusieurs années pour être réalisées et le matériel utilisé pouvait alors atteindre jusqu’à six fois le prix du travail lui-même. Afin de maintenir le haut niveau technique, des conditions de contrôle strictes étaient établies. Il fallait entre 8 et 10 ans d’apprentissage avant de pouvoir travailler sur de vraies commissions. La broderie ne se faisait qu’à la lumière du jour, jamais à la bougie et les patrons d’ateliers de broderie n’avaient le droit d’accueillir qu’un nombre limité d’apprentis. La qualité des fils d’or était aussi soigneusement vérifiée et les brodeurs risquaient de voir leur travail détruit si une qualité d’or inférieure avait été utilisée.
Or nué – une invention italienne

Chape de la Vierge Marie, Ordre de la Toison d’or. Trésor de Hofburg, Vienne © Search Press
Vers la fin du XIVème siècle, les ateliers anglais perdirent de leur popularité face aux ateliers d’Italie, de France ou des Pays-Bas. Une technique nouvelle, venant d’Italie – l’or nué – s’est développée au début du XVème siècle et surpassa bientôt toutes les autres techniques de la broderie d’or en Europe. Deux fils d’or étaient posés sur le tissu et fixés par des fils de soie de couleur permettant de créer des motifs complexes. L’impression de profondeur, d’ombre et de lumière étaient créée en utilisant des camaïeux de soie et en jouant sur les espaces d’or laissés entre les fils. L’or nué est de loin la technique la plus chronophage des techniques d’or mais elle permet d’imiter très finement la peinture. D’importants artistes comme Raphaël ont reçu des commandes pour des motifs de broderie.
L’œuvre la plus spectaculaire qu’il nous reste en or nué datant du Moyen Age est un vêtement sacerdotal de l’ordre de la Toison d’or, conservée dans le Trésor de Hofburg à Vienne. Les visages et les mains des personnages sont brodés avec des fils de soie d’une très grande finesse et leurs habits ainsi que le fond sont réalisés en or nué.
Après la réforme lancée par Henri VIII, beaucoup de ces œuvres splendides ont été démontées pour récupérer l’or et les pierres précieuses.

Gérard Cornelis par Mattheus Verheyden, 1750. Gilet de brocard d’or et manchettes richement brodées © Search Press
Nouvelles techniques pour broder l’or
A partir du XVIIème siècle, les techniques permettant de créer des fils de métal évoluent. Des fils d’or ou dorés deviennent ainsi si fins qu’ils peuvent traverser les tissus.
Cela donna lieu à la création de nouvelles techniques de broderie de surface et de dentelle venant s’ajouter à la couchure traditionnelle. Des fils d’or et d’argent étaient ainsi souvent combinés à la broderie noire et à la broderie de soie. La mode du XVIIIème siècle offre des surfaces toujours plus importantes pour la broderie, sur les vêtements masculins comme féminins. Peu à peu les motifs deviennent plus naturalistes, favorisant de larges fleurs brodées aux fils de soie et d’or.
Au XIXème siècle la broderie d’or perd de sa popularité, sauf dans la haute couture. Le mouvement Art & Craft (concurrent de l’Art Nouveau) a permis aux techniques de ne pas disparaitre (motifs créés entre autres par William Morris ou Edward Burne-Jones).
La possibilité d’utiliser des fils dorés à la place de fil d’or pur a relancé cette technique, devenue abordable pour tous. Les artistes jouent de ces nouveaux matériaux, créant de nombreux motifs modernes, abstraits ou épurés. Elle reste l’une des techniques de broderie la plus longue a réaliser, mais l’effet est si spectaculaire et les utilisations si variées qu’elle a repris sa place dans les ateliers et chez les particuliers.
Extrais tirés du A-Z of Goldwork with silk embroidery, Search Press.
Traduction Claire de Pourtalès / Le Temps de Broder
Pour aller plus, un article du Blog de Jessica Grimm sur la fabrication et l’origine des fils d’or (et de métal). En Anglais.