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Depuis années, Susan Weeks enregistre des interviews avec des artistes du textile. Elle doit faire une pause et je me suis dit que cela pouvait être intéressant de reprendre et de mettre à jour les rencontres avec des artistes de la broderie. Voici la première de ces rencontres. 

Jessica Grady est une artiste brodeuse originaire du Yorkshire. Son travail coloré et contemporain a été exposé dans divers endroits au Royaume-Uni, en Europe et dans le reste du monde et a reçu de nombreux prix. Les textiles de Jessica sont une exploration de couleurs vives et de motifs complexes à travers des broderies à la main et des embellissements inhabituels. Ses créations sont un régal visuel pour le spectateur.

Photos – © Jessica Grady – photos protégées par copyright – merci
Interview Susan Weeks et Claire de Pourtalès / Podcast original (en Anglais): https://www.stitcherystories.com/jessicagrady/

Souhaitez-vous partager avec nous ce sur quoi vous travaillez en ce moment (2018) ?
Je viens de terminer une grande expo à York et je commence une nouvelle collection qui est assez excitante. Je travaille sur une pièce amusante mais avec beaucoup d’expérimentation, donc cette collection avancera en fonction de cette expérimentation.
J’ai beaucoup regardé les émissions de Blue Planet et le travail de David Attenborough, j’ai donc eu envie de travailler sur les coraux et les mers. Mon travail est assez abstrait car je n’essaie pas de reproduire quelque chose. Je lui donne un peu d’ajustement pour en faire plutôt un modèle. C’est une question de couleur et de texture. En ce moment, j’explore aussi quelque chose d’un peu plus sculptural pour voir si je peux travailler avec des cloches en verre. J’aimerais faire une pièce en 3 dimensions et je ne veux pas être limitée par un cadre. J’ai fait des pièces avec un cadre d’environ 9 centimètres de profondeur. Il s’agit en fait de deux cadres dos à dos. Mais il est coûteux d’avoir des cadres sur mesure. C’est un défi d’exposer mon art.

Je dois aussi faire les tâches administratives, retoucher les photos, le site web, les applications et tout ça prend beaucoup de temps.
J’essaie aussi de postuler à certaines résidences d’artistes, même à l’étranger, afin d’avoir un long laps de temps pour ne faire qu’expérimenter et créer.

2021 – Avez-vous pu le faire ?
Oui! Les principales œuvres que je vends et exposes aujourd’hui sont mes sculptures textiles 3D et techniques mixtes. J’aime vraiment ce défi de broder vers le haut plutôt que purement à plat sur la surface du tissu. Je suis toujours à la recherche d’une résidence internationale en textile – comme pour beaucoup de gens, la pandémie a mis un terme à bon nombre de mes projets d’enseigner et de travailler en dehors du Royaume-Uni. J’ai cependant toujours été en mesure d’atteindre des personnes plus éloignées en déplaçant mes ateliers en ligne et j’ai accueilli des participants du monde entier.

Great Star, détail – JessicaGrady © Proud Fox Creative_2018

Comment vous êtes-vous retrouvée dans un magazine français ?
Je partage mon travail sur différents groupes Facebook et ces groupes sont composés de personnes du monde entier. Un seul post a apporté plein d’autres possibilités !
J’ai reçu un mail du rédacteur en chef d’un magazine français de quilting qui m’a invité à participer à un salon en France (Nantes – Pour l’amour du fil) en avril 2017, donc c’était une belle opportunité.

Comment vous êtes-vous intéressé à la broderie ?
J’ai toujours été artiste et j’avais une tante qui était aquarelliste qui aimait aussi la broderie. Elle m’a appris à broder. J’en ai aussi fait un peu à l’école, puis j’ai décidé de faire un diplôme textile, mais je n’ai jamais aimé faire quelque chose de plat, j’avais besoin de quelque chose avec un peu de texture. Je pense que je suis un peu folle et c’est pourquoi j’aime expérimenter avec toutes les matières étranges sur ma broderie, comme des morceaux d’éponges, des métaux, toutes sortes de choses. Je pense en fait que c’est une très bonne utilisation des matériaux, surtout quand vous pouvez créer des choses nouvelles à partir d’autre chose, etc.
L’industrie textile est une industrie tellement gaspilleuse en général, donc mon idée est juste de redonner quelque chose, que vous puissiez recycler quelque chose et le transformer en quelque chose de créatif, pour sortir de la forme originale, pour manipuler, transformer, faire fondre un sac en plastique, teindre un morceau, etc.

Après votre diplôme en textile, vous êtes-vous lancée directement à votre compte ?
J’ai fait de nombreux stages dans le design textile et la mode, puis je me suis lancée dans le design indépendant à la fois pour la broderie commerciale et le design imprimé. J’ai ainsi travaillé en freelance pour plusieurs entreprises à travers le monde pendant quelques années, mais en poursuivant toujours mon propre travail et mes explorations en parallèle. C’était agréable d’acquérir ces compétences, mais j’ai juste décidé que je serais beaucoup plus heureuse en créant ma propre entreprise et en montrant mes compétences aux autres à travers des ateliers, des conférences et des discussions sur ma pratique artistique.

Selon vous, quels sont les artistes qui vous ont principalement inspiré au fil des ans ?
Michael Brennand-Wood est une grande inspiration. J’adore son travail sur les médias mixtes. Je me souviens qu’à l’université, nous avons eu une conférence de Karen Nicol. Je pense que son travail est magnifique et elle est assez inspirante en termes de recherche de choses alternatives à créer et cela m’a mis sur cette voie. Elle fait les brocantes, les vides-greniers et les marchés vintages. Vous n’avez pas à penser à la norme en matière de textile et cela m’a donné de la liberté dans mon travail.
Il y a évidemment beaucoup d’artistes brodeurs talentueux sur Instagram comme Liz Payne qui fait un travail incroyablement lumineux et coloré – quelqu’un d’autre qui comme moi est une grande amoureuse de la couleur !

Odds and Ends, Jessica Grady 2020 © Jessica Grady

 

 

Encrusted, Jessica Grady, Quilt Festival Tokyo, 2020 © Jessica Grady

Quelles sont vos techniques préférées et pourquoi ?
À l’origine, je fabriquais mes propres paillettes parce que je n’aimais pas ce que je pouvais trouver dans les magasins, à moins que vous ne les achetiez en Inde ou ailleurs, mais ce n’est pas une option viable ou écologique. J’adore les jeux de rondelles, ce sont mes matières préférées; vous pouvez les obtenir dans n’importe quelle taille, forme, matériau. Vous pouvez les teindre ou les peindre.
Si vous utilisez des paillettes métalliques, elles affectent le poids du tissu. Pendant mes études, j’ai fait une tenture avec elles et le poids a complètement altéré le tissu.
L’un de mes matériaux préférés est le tube médical – quelqu’un m’a donné un énorme sac de tubes dont la date avait expiré. Il aurait dû être jeté à la poubelle – il n’a jamais été ouvert mais ne pouvait plus servir. C’est une alternative aux perles, et je peux facilement les teindre puis les découper en formes. J’ai commencé à utiliser ces tubes parce qu’ils étaient un peu plus larges que les perles-tubes traditionnelles. Je trouve ça tellement ennuyeux de devoir changer d’aiguille pendant le travail.

À Leeds, il y a un énorme ScrapStore – il se trouve dans un ancien moulin qui est absolument rempli jusqu’au toit de débris et de restes provenant directement de l’industrie. Je prends beaucoup de matériaux inhabituels là-bas. Les magasins de ferraille existent dans tout le Royaume-Uni et ont tous des matériaux différents qui seraient normalement mis à la décharge et qui là, sont vendus au public, à des groupes d’art, à des écoles, etc. Ils sont une ressource fantastique et quoi de mieux que d’être aussi “zéro déchet et durable” que possible avec vos œuvres d’art !

Rhubarb and Custard, détail, Jessica Grady, 2018 © Jessica Grady

Selon vous, quel a été le point culminant de votre parcours d’art textile et de broderie ?
J’ai eu mon premier article dans Be Creative avec le magazine Workbox. Je pensais que ce serait une toute petite chose, mais l’article faisait deux pages ! C’était tellement agréable de voir mon travail imprimé. C’est différent de le voir sur un écran d’ordinateur. Tant de gens l’ont lu et j’ai reçu tellement de beaux retours. Toutes sortes d’opportunités en ont découlé, comme un bel effet de domino. Depuis ce premier article il y a plusieurs années, mon travail a été publié dans une variété de magazines d’art, de textiles et de broderie à travers le monde, notamment : Embroidery, Daphnes Diary, Textile Fiber Forum et Fiber Art Now. Mon premier projet a aussi été publié dans un livre pour WOWbook n°6 aux éditions D4Daisy. Mon travail apparait aussi sur la couverture du magazine du journal grand format le Yorkshire Post.

Ce dont je suis le plus fière est d’avoir été reconnue en tant qu’artiste.
J’ai postulé en 2016 pour un programme pour jeunes talents, RAW. Il ne s’agit pas seulement de textiles, il s’agit de toutes les disciplines de l’art et de l’artisanat et il s’adresse aux artistes émergents qui débutent dans le secteur. Cela vous donne une rampe de lancement parce que les expositions coûtent très chères et c’était donc une introduction à un véritable salon. J’ai également eu un mentor en soutien, et cela vaut beaucoup. J’ai découvert que j’avais été choisie comme l’une des 12 artistes à remporter ce prix, donc c’était fantastique. Ils ont reconnu que mes textiles sont plus qu’un simple artisanat. C’est la bataille à laquelle chaque artiste textile doit faire face, donc avoir cette reconnaissance de la part des professionnels était fantastique.
C’était beaucoup de travail acharné, beaucoup de larmes et de doigts en sang, mais au final les choses se sont bien mises en place et cela a vraiment porté ses fruits. J’ai eu une très bonne expérience, donc c’est génial.
Cette expérience m’a apporté beaucoup de confiance en moi, et depuis j’ai reçu le prix de la Guilde des Brodeurs des moins de 30 ans en 2018-2019. Je suis également maintenant membre du groupe d’exposition “Art Textiles: Made in Britain” et à travers le groupe, j’ai été invitée à aller au Japon pour exposer en 2020 au Festival International du Quilt à Tokyo. C’est à ce jour le point culminant de ma carrière et c’était une opportunité incroyable.

Avez-vous déjà vécu une « catastrophe » et qu’avez-vous appris de cette expérience ?
Je pense que j’ai eu et que je continuerai à avoir beaucoup de désastres ! Quand je commence, c’est toujours par un peu d’expérience, il y a toujours des matériaux qui devraient être fantastiques à travailler mais qui au final ne fonctionnent tout simplement pas. J’ai fait ces énormes pièces avec du métal, mais elles étaient si lourdes que tout tombait. J’ai fait quelques pièces avec des éponges de maquillage, et les gens de la galerie ont dû les mettre près de la fenêtre car quand ils m’ont renvoyé la pièce, elle était complètement détériorée. La plupart des gens ne savent tout simplement pas comment entretenir correctement les textiles. Ils ne pensent pas que le soleil les affectera. C’est tout un apprentissage, et c’est pourquoi j’ai commencé à mettre des pièces sous des cloches de verre pour les préserver davantage. Lorsque vous concevez, vous ne pensez pas toujours aux aspects pratiques.

Avec les réseaux sociaux aussi, ce n’est pas toujours simple – beaucoup de gens pensent qu’être un artiste est toujours un travail très glamour et passionnant. Ce que les gens ne voient pas, ce sont tous les rejets pour différents projets ou avoir une exposition où vous ne vendez aucune œuvre ou quand parfois vous avez un blocage d’artiste et ne pouvez pas créer une nouvelle œuvre. Vous devez développer une sacrée resistance, et ne pas prendre à coeur les revers, ce qui est vraiment, vraiment difficile à faire !

Circuit, Jessica Grady, 2017 © Jessica Grady

Vous avez des projets inachevés ?
Non, pas vraiment. J’ai des échantillons, des boîtes et des boîtes d’échantillons. Certaines pièces ne fonctionnent pas, donc je les découpe et en fais un échantillon. Je pense que c’est plus facile que d’avoir quelque chose d’à moitié fait. C’est toujours un échantillon fonctionnel à mes yeux. Il peut toujours servir.

Comment gardez-vous une trace de vos projets et de votre temps?
Je suis assez organisée mais toujours capable de garder ces flux créatifs aussi. Pour moi, si j’ai un plan, cela signifie que j’ai quelque chose vers quoi travailler. Je suis beaucoup plus productive de cette façon. Le stress ne me fait pas travailler de manière productive. Cela dit, je ne planifie jamais mes broderies avant de les faire.
Quand j’ai déménagé à Leeds, j’ai réalisé qu’être dans une zone plus urbaine m’offrait non seulement plus d’opportunités de différents lieux pour exposer, mais m’a aussi montré que mon travail est plus une affaire urbaine. J’utilise des matériaux de ville, comme des déchets plastiques, des composants métalliques, etc.
J’ai aussi des étudiants fantastiques dans les ateliers que j’enseigne et c’est tellement agréable de pouvoir partager certaines des techniques que j’aime avec des gens qui les apprécient autant que moi. C’est très enrichissant.

Circuit, Jessica Grady, 2017 © Jessica Grady

Quels sont vos projets à venir (2018) ?
J’aimerais vraiment pousser cette broderie sculptée et travailler avec la 3 ème dimensions, puis potentiellement aller vers quelque chose qui ressemble plus à une installation. J’adorerais faire des ateliers en ligne parce que je reçois beaucoup de demandes de personnes du monde entier.

2021 – Avez-vous réussi ?
Oui! Les ateliers en ligne ont commencé en 2020 après que tous mes ateliers et événements aient été annulés en raison de la pandémie. Bien que maintenant je sois de retour pour enseigner en personne, les cours en ligne sont quelque chose que je vais continuer à faire. J’aime vraiment l’idée de me connecter avec d’autres personnes du monde entier qui aiment broder. Je fais également beaucoup de travail en ligne pour l’éducation et j’ai organisé une conférence d’artistes pour les écoles en 2020 pendant le confinement – au total, j’ai eu plus de 100 écoles qui ont rejoint l’événement, ce qui était fantastique !

Où retrouver Jessica :
Site internet
Instagram
Facebook