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A Amsterdam (Pays-Bas) © Liz Kueneke

Depuis 2008, Liz Kueneke invite les gens à broder des bouts de vie sur une carte de leur ville. Une aiguille, du fil et cinq continents plus tard, on fait le point sur ce projet profondément humain.
Texte et photos – © Liz Kueneke – photos protégées par copyright – merci
Traduction – Claire de Pourtalès

Liz portant la Robe carte d’Ibiza / Création Liz Kueneke et Vanina Lefebre © Liz Kueneke

Je m’appelle Liz Kueneke et je suis une artiste multidisciplinaire. Quand j’étais jeune, j’ai appris la couture et la broderie auprès de ma grand-mère Dorothy, qui travaillait dans une boutique de tissus et m’a fait partager sa passion pour le textile et les fils. Plus tard, j’ai étudié à Los Angeles, où j’ai obtenu mon Master of Fine Arts, et où j’ai exploré de nombreux types d’arts. Quelques années plus tard, j’ai déménagé à Barcelone, où j’ai commencé à expérimenter les cartes participatives.

A Barcelone (Espagne) © Liz Kueneke

J’étais très intéressée, étant étrangère, par ce que chaque endroit signifiait pour les habitants locaux… quels étaient leurs souvenirs attachés à chaque coin de rue, bâtiment abandonné et banc de parc. J’ai commencé par collaborer avec une artiste colombienne, Margarita Pineda, et une architecte colombienne, Ximena Covaleda. Nous avons réalisé une cartographie participative à grande échelle avec des habitants de toute la ville. Nous avons également fait des expositions dans des galeries et des musées où les gens pouvaient marquer des endroits particuliers sur les cartes à l’aide d’épingles et de fil.

A Barcelone (Espagne) © Liz Kueneke

Ces expériences m’ont fait réaliser à quel point les gens ont besoin de raconter leurs histoires, et j’ai décidé de combiner les méthodes que nous utilisions, la cartographie participative dans l’espace public et les cartes brodées. J’ai été inspirée par ma grand-mère. Elle allait à des cercles de quilting avec ses amies, où elles s’asseyaient toutes en cercle et travaillaient ensemble sur la même courtepointe, tout en discutant pendant des heures. J’ai donc décidé de reproduire ces cercles, d’une certaine manière. Traditionnellement cela se faisait uniquement avec des amies proches et à l’intérieur, mais j’ai voulu les amener à l’extérieur et permettre à des étrangers de travailler ensemble à la même carte communautaire.

A Barcelone (Espagne) © Liz Kueneke

J’ai commencé mon projet, que j’ai appelé The Urban Fabric (Le Tissu Urbain), en 2008 dans mon quartier de Barcelone, La Barceloneta. J’ai d’abord brodé la carte, ce qui a pris environ 100 heures. J’ai utilisé un simple point avant, que j’aime appeler mon point de marche, car j’avais l’impression que mes doigts marchaient dans chacune des rues du quartier. J’avais besoin d’une table de broderie mobile… en gros une table sans dessus, sur laquelle j’allais pouvoir attacher la carte. Il fallait qu’elle soit pliable pour me permettre de la remonter jusqu’à mon petit appartement dans cet ancien village de pêcheurs. C’est une amie architecte, Sigrid Ostlund, qui à conçu et fabriquer cette magnifique table en bois. Une fois prête, je me suis assise au milieu de la place principale, avec ma broderie étendue, tous les jours pendant environ un mois.

J’ai formulé une série de questions pour les gens, et chaque question avait un symbole et une certaine couleur. Par exemple, s’ils voulaient me dire là où il y avait un endroit positif pour le quartier, ils brodaient un petit cercle vert sur la carte à cet endroit. Ou s’ils voulaient marquer leur maison, ils utilisaient une étoile orange, etc. Au cours de cette cartographie communautaire, j’ai appris d’innombrables choses sur le quartier où j’habitais… des choses historiques, comme l’histoire des anarchistes qui, pendant la guerre civile, voulaient tuer le prêtre local. Un homme a dit qu’il voulait faire souffrir le prêtre longuement et l’a ramené seul chez lui. En réalité, il cacha le prêtre dans son appartement pendant des mois et s’occupa de lui. Lorsque le vent a tourné et que les fascistes ont gagné, le prêtre, qui aurait pu condamner cet homme à mort pour être un anarchiste, l’a en fait sauvé.

A Sarner (Suisse) © Liz Kueneke

J’ai aussi appris beaucoup de choses plus contemporaines, comme l’importance pour les gens de la bibliothèque publique et du centre civique, et leur agacement envers les touristes qui viennent uriner sur le pas de leur porte. C’était très beau que beaucoup de voisins qui ne s’étaient jamais parlé auparavant, finissent par se retrouver autour de la carte, en train de broder. J’ai aussi appris que demander aux gens de broder leurs opinions, plutôt que de simplement les dessiner ou de les marquer avec des autocollants, les faisait rester beaucoup plus longtemps autour de la table. Ce temps a permis de nombreuses et intéressantes conversations. Pour la plupart, la broderie était quelque chose qu’ils n’avaient jamais fait, mais ils ont été heureux d’apprendre quelque chose de nouveau.

A New York (USA) © Liz Kueneke

J’ai donc réalisé que cette technique était très intéressante pour amener les gens à se réunir et à discuter de leur quartier ou de leur ville, et j’ai donc décidé d’apporter une carte à un festival d’art psycho-géographique à New York. J’ai brodé toute la carte de Manhattan et suis descendue dans les rues. J’ai emporté la carte dans toute l’île, dans autant de quartiers différents que possible, pour obtenir une grande variété de participants.

A New York (USA) © Liz Kueneke

 

A Quito (Equateur) © Liz Kueneke

 

A Bangalore (Inde) © Liz Kueneke

Cette expérience était incroyable, et j’ai décidé de continuer. Je me suis rendue à Bangalore, en Inde, à Quito, en Équateur et à Fès, au Maroc. Dans chaque endroit, j’ai d’abord mené une enquête avec des personnes locales qui m’ont aidé à choisir les questions que je devais poser aux gens, ainsi que les couleurs que je devais utiliser pour les symboles, car les couleurs signifient différentes choses dans différentes cultures. Par exemple, en Occident, le rouge peut être davantage un symbole de danger, alors qu’en Inde c’est une couleur de bon augure, utilisée dans les mariages, etc.

A Fez (Maroc) © Liz Kueneke

Dans chaque endroit, j’ai passé environ un mois à collecter des symboles auprès des gens, mais aussi à les laisser broder librement autour du bord de la carte. Cela a également apporté une merveilleuse saveur locale à chaque carte. Par exemple, à Barcelone, les adolescents locaux brodaient leurs graffitis sur la carte, tandis qu’au Maroc, les gens brodaient en arabe. J’ai aussi découvert les points de vue locaux sur la broderie à chaque endroit. En Occident, il y avait beaucoup d’hommes qui se sentaient mal à l’aise avec l’activité, alors qu’au Maroc et en Inde, ce sont généralement les hommes qui font ce travail, et il était beaucoup plus difficile de convaincre les femmes de participer (car elles se sentaient moins à l’aise de rejoindre une table pleine d’hommes dans un espace public).

A Fez (Maroc) © Liz Kueneke

 

A Amsterdam (Pays-Bas) © Liz Kueneke

 

A Bangalore (Inde) © Liz Kueneke

C’était aussi intéressant, par exemple dans un endroit comme l’Inde, de rassembler autant de personnes différentes à la table… des dames chics dans de magnifiques saris et des enfants sans abri… et ils se côtoyaient, partageaient des ciseaux, ainsi que leurs histoires de vie.

A Bangalore (Inde) © Liz Kueneke

Après avoir visité chacun de ces cinq lieux, sur cinq continents, j’y suis retournée pour exposer ensemble toutes les cartes. J’ai également montré des vidéos de chaque endroit, où j’interrogeais les participants sur les raisons de leur choix de marque ou de couleur. Le résultat du projet montre que ces gens d’horizons si variés veulent tous la même chose pour leur ville. Ils veulent des endroits sûrs, où ils peuvent se promener la nuit sans danger. Ils veulent beaucoup de parcs et d’espaces verts. Ils veulent moins de trafic et de pollution. Ce sont des souhaits universels dont les politiciens et les urbanistes devraient tenir compte.

A Quito (Equateur) © Liz Kueneke

J’ai également réalisé le projet en Suisse, à Amsterdam, à Los Angeles et à Ibiza où je vis, et j’ai même créé une robe-carte avec une designer locale, Vanina Lefebvre.

A Amsterdam (Pays-Bas) © Liz Kueneke En collaboration avec le Hash Marihuana and Hemp Museum et Hoodlamb, une entreprise de vêtements en chanvre basée à Amsterdam.

 

La Robe-Carte d’Ibiza  / Création Liz Kueneke et Vanina Lefebvre © Liz Kueneke

La robe-carte élimine le besoin de la table, car je porte simplement la robe pendant que les gens brodent dessus. Les bords de la jupe représente la carte d’Ibiza, tandis que dans la partie supérieure de la robe il y a une place pour les ciseaux et les épaulettes sont les pelotes d’épingles où je garde les aiguilles ! La pandémie a un peu ralenti le projet, à cause de la proximité qu’il faut pour broder, cependant je compte continuer à broder ailleurs et à explorer de nouveaux lieux point par point !

Liz bordant la base de la carte à Sarner (Suisse) © Liz Kueneke

 

Exposition de la carte brodée d’Ibiza © Liz Kueneke

Pour suivre ce projet : 
Instagram: @the_urban_fabric 
Website: www.lizkueneke.com
Un court documentaire réalisé par Pablo De Otto et Clàudia Sol Torelló
Quelques vidéos (plusieurs ont des sous-titres en Français) des interviews réalisées sur place