Petit voyage aux coeur de la paillette!
Photos – © Langlois-Martin – photos protégées par copyright – merci
Interview – Claire de Pourtalès
Le monde des paillettes… Un univers étroitement lié à la broderie, en particulier à celle de la Haute couture. Derrière ces petites pièces de couleurs se cache une longue histoire d’outils, de chimie, de rencontres. Je vous présente la Manufacture Langlois-Martin, la dernière manufacture de paillettes en France. J’ai pu échanger un long téléphone avec Jean-Baptiste Drachkovitch, l’un des propriétaires. Visiblement passionné, il a accepté de répondre à mes questions et de me faire entrer dans (presque !) tous les secrets de cet univers si particulier.

Broderie effet de maille tricotée ©Langlois-Martin
Jusqu’au 18ème siècle les paillettes étaient faites en métal – argent ou or. Mais leur poids et leurs coûts ne permettaient pas une grande diffusion*. Vient alors l’idée de les couper dans des feuilles de gélatine (la même gélatine de porc utilisée en cuisine !) – il ne fallait donc pas laver ces pièces magnifiques ! A l’œil nu, elles ne sont pas différentes des paillettes en plastique et il est arrivé récemment que des brodeurs voient tout leur long labeur réduit à rien pour avoir choisi ces paillettes dans les réserves des grandes maisons ! Au premier coup de vapeur, celles-ci ont fondu…
*Ces paillettes sont encore fabriquées par ceux qui réalisent les fils métalliques comme le jaseron ou la cannetille.

Catalogue de 1902 ©Langlois-Martin
Les premières manufactures datent de 1869. On en dénombrera jusqu’à 70 en France.
A la fin du 19ème siècle, trois nouveautés vont permettre le développement des manufactures de paillettes : l’arrivée de la Haute couture avec la maison Worth, l’utilisation du crochet de Lunéville pour broder rapidement les éléments décoratifs sur des tissus et la diffusion de perles en verre (Italie et Bohême). La folie des vêtements et des accessoires recouverts de paillettes et de perles aura son apogée dans les années 20-30.

Bleuets à broder ©Langlois-Martin
Après la seconde guerre mondiale, on passera à deux composants principaux : l’acétate de cellulose et le PVC (le Polyester arrivera plus tard). Le premier est composé de fibres de bois ou de coton, transformées chimiquement. Le second est issu du pétrole. A noter que l’acétate de cellulose était connu depuis 1864 mais il n’était pas encore utilisé pour faire des paillettes.
C’est en 1919 que Marcel Langlois crée une maison qui restera dans la famille pendant trois générations. Dans les années 40-60 les manufactures les plus solides rachètent les plus faibles. En 1976 il n’en reste que trois. En 2001 Langlois-Martin est la dernière à tenir encore. Avec de sérieux avantages glanés au fils des ans : un outillage historique et unique de plus de 5000 pièces, des archives (quand elles n’ont pas été détruites…) et un savoir-faire inégalé.

Les nouveaux propriétaires: Pascal Bernard et Jean-Baptiste Drachkovitch ©Langlois-Martin
Jean-Baptiste Drachkovitch entre en scène. Jeune, il se destinait à la philosophie mais après s’être ennuyé ferme en prépa à Normale Sup, il décide de se former à la mode (en plein renouveau au milieu des années 80). Il apprend le design et le modélisme aux Ecoles de la Chambre Syndicale de Paris tout en ajoutant une formation de brodeur chez Lesage. Des années plus tard, il apprend par un revendeur de paillettes Langlois-Martin que la famille souhaite vendre leur manufacture.
Chanel rachète volontiers les maisons d’art (sans paillette, que deviendraient-ils ?) mais les choses sont compliquées au niveau comptable avec les héritiers. Jean-Baptiste Drachkovitch propose sa candidature avec son ami Pascal Bernard et ils deviennent ainsi les propriétaires de la vénérable maison. Celle-ci se trouvait alors à Noisy-le-Sec, près de Paris. « On y est resté 7 ans mais nous avons constaté qu’avec internet il était devenu inutile et onéreux de garder un « showroom pour les coursiers » à Paris, et on a déménagé en Normandie – juste avant la pandémie ! »
L’équipe est réduite – 5 personnes à ce jour. Il n’y a pas de formation pour faire ce métier : « On y arrive tous par hasard, on se forme sur le terrain ». Il faut aimer le travail précis voire délicat, tout en étant assez fort pour porter des rouleaux de 50 kg ! Il est aussi important d’avoir une habilité manuelle et de savoir compter.

L’aspect technique… ©Langlois-Martin
Côté technique on a donc 5000 outils en acier trempé. Ils sont assez petits mais très lourds. Le plus grand fait 20 cm sur 30 et pèse 25 kg ! Pour faire un outil semblable aujourd’hui il faut compter près de 10 000 euros. On est ici dans l’artisanat plus que dans l’industrie : ces outils provenant de diverses manufactures, ils sont tous de taille différente. Il faut donc couper les plaques d’acétate aux tailles des outils.
Lors de la commande, le client choisis la forme (parmi les 5000) et la couleur (1600 !). De l’outil dépendra le devis : « Nos ancêtres avaient un côté tordu : des outils découpent parfois une à 5 paillettes à la fois, pas plus! ».

Préparation des couleurs ©Langlois-Martin
On commence par colorer la plaque d’acétate ou de PVC.
La production de la Maison Langlois-Martin repose à 80% sur l’acétate. Celui-ci est bien plus cher que le PVC, mais il est plus écologique et a l’avantage d’être fabriqué en Europe. Il est aussi bien plus économe en énergie et en vernis (pour colorer les paillettes). Chez Langlois-Martin la coloration peut se faire encore à la main. Un gain important en vernis est ainsi réalisé. En effet, le travail à la main engendre une perte d’environ 20% de vernis, quand celle-ci est près de 80% pour le vernissage en machine car le bac de rétention doit toujours être plein. « C’est notre éco-responsabilité. Mais avec le cours du brut qui s’envole, les prix des plastiques issus de la pétrochimie ont beaucoup augmenté, l’acétate a été moins impacté ; cela rééquilibre un peu les choses même si on a encore un rapport de 1 à 4 en terme de prix…”

Catalogue d’aujourd’hui ©Langlois-Martin
Les plaques ont 3 épaisseurs différentes qui sont choisies en fonction de la paillette finale. Il existe aussi 7 types de matières de base (noir, blanc, ivoire, transparent, perliane, etc.) servant à réaliser plus d’une trentaine d’aspects. On va vernir les deux faces selon des techniques secrètes. Les nuances sont coordonnables, chacune ayant un code couleur qui se retrouve dans chaque style : 4616 en perliane se coordonne avec 2016 en Metallic ou le 3016 en Irisé par exemple.

Arabesques et fleurs en raphia ©Langlois-Martin

Paillettes classiques ©Langlois-Martin
L’outil du modèle choisi est ensuite inséré dans la machine, un découpoir à balancier avec une visse au sommet. A chaque coup du balancier, le découpoir coupe le nombre de paillettes correspondant à l’outil**. Les commandes liées à la haute couture ne sont jamais si importantes qu’elles demandent une grosse machine industrielle : les motifs sont le plus souvent pour de l’ornementation supplémentaire alors qu’on fait des fonds pleins avec des paillettes classiques. Au final, les outils anciens correspondent encore aux besoins actuels.
Pour les paillettes classiques (à cuvette ou plates), Langlois-Martin dispose de machines automatisées pouvant les produire plus rapidement en grande quantité.
**Ce découpoir est aussi utilisé pour couper des fleurs artificielles chez Lemarié par exemple, ou même pour faire des ressorts.

Effet python ©Langlois-Martin

Effet écailles de tortues ©Langlois-Martin

Fleur en raphia et feuilles d’acanthe ©Langlois-Martin
« On ne fait pas ce métier uniquement pour l’argent, on l’aime, et tant qu’on peut rester indépendant, ça continuera. On a notre éthique par rapport à l’écologie et au respect du travail des créateurs. Il est arrivé qu’on vienne nous voir avec des photos de paillettes soi-disant d’un créateur, pour nous demander si on pouvait les reproduire. Or c’était justement une paillette à nous ! Nos « petits » clients sont souvent plus simples. J’ai une amie qui a fait sa formation à l’école Lesage en même temps que moi. Elle vit au Japon et dès qu’elle a besoin de paillettes, elle commande chez nous. On travaille aussi avec des artistes comme Devi Vallabhaneni (devi.atelier) ou Abigail Simmonds (abigail_simmonds) qui utilisent des paillettes dans leur travail.”
« En France il ne reste plus que 6 grands ateliers de brodeurs qui peuvent nous passer commande facilement. Depuis quelques années ont voit de petits ateliers se développer mais ils passent souvent par des artisans indiens. Il faut savoir qu’il n’existe aucune autre manufacture capable de reproduire nos 5000 formes. Les plus grandes (en Chine) ont peut-être 100-150 outils ! » Un avenir assuré ? Espérons-le !