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Reconstitution de la tombe de la “princesse Ukok” – Dessin d’Elena Shumakova (Institute of Archeology and Ethnography, Siberia) © The Siberian Times

L’art sous la glace
Le permafrost de Sibérie est en train de fondre. Malgré la mauvaise nouvelle climatique que cela signifie, au niveau archéologique cette fonte est une bénédiction. Elle permet de retrouver, conservé dans un état étonnant, les traces de civilisations disparues.
La vie en Sibérie a toujours été nomade et les peuples, nombreux et divers qui l’habitaient n’ont pas souvent construit des villes ou créé des œuvres durables qui soient parvenues jusqu’à nous. Cependant, leur mobilité leur assurait un contact permanent avec des coutumes et des arts variés.

L’Altaï, Sibérie © The Siberian Times

Une série de tombes découvertes dans l’Altaï a permis de mieux comprendre le peuple des Pazyryk. La découverte en 1993 d’une tombe particulièrement riche a aussi mis à jour des broderies réalisées sur les vêtements, les bottes, les chapeaux, les tapis de selle, etc. Le permafrost a préservé la vivacité des couleurs de ces tissus et fils vieux de plus de 2500 ans.

Types de broderie découvertes sur les tissus, – 500 avant J.C. Institute of Archeology and Ethnography, Siberia © The Siberian Times


Une tombe exceptionnelle
La tombe est celle d’une jeune femme de 25-28 ans, momifiée avec un grand soin. Sa tête est rasée mais elle porte une extravagante coiffure qui mesure plus de 68 cm de haut. Son cercueil a été réalisé pour que toute cette coiffe puis reposer sur la tête de sa propriétaire.

La jeune femme porte une jupe de laine, très longue s’évasant vers le bas. Elle est faite de 3 bandes de couleurs différentes (rouge vif, orange clair et rouge bordeaux). Les pierres et insectes utilisés pour colorer ces tissus proviennent de régions très éloignées (Arménie, Iran, etc.), certaines à plus de 3000 km de là.

Manteau en zibeline. Institute of Archeology and Ethnography, Siberia © The Siberian Times

Les tissus utilisés apparaissent usés, voir même reprisés, ils n’ont pas été seulement réalisés pour l’enterrement. Et pourtant ils étaient certainement peu pratiques dans ces montagnes (2 000-2 500m d’altitude). Un signe d’une certaine coquetterie ? La chemise légère qui descend jusqu’aux genoux est décorée d’une sorte de dentelle rouge et d’une tresse de feutre. Dans les objets entourant la jeune femme, trois autres chemises ont été retrouvées. Elles ressemblent à s’y méprendre à des chemises découvertes dans des tombes de ce qui est devenue la province de Xinjiang en Chine. Elles sont en soie. Mais curieusement, pas en soie de Chine, mais d’Inde ! Au-dessus de sa robe, elle porte un manteau de zibeline décoré de poils de chevaux (poulain noir et poils teints en rouge). Le résultat ressemble étrangement aux manteaux des anciens habitants de l’Alaska actuelle.

Couverture de selle décorée de feutre et de soie chinoise, tombe 5, Pazyryk. ©TRC Leiden

Les bords des vêtements sont brodés au point de chaînette – la technique et les motifs sont souvent comparables à ceux de Chine (Hubei). Les Pazyryks utilisaient beaucoup le feutre dans lequel était découpées des formes qui étaient ensuite cousues au tissu à décorer en utilisant des points de broderie. Ils ajoutaient des fines plaques de métal, de la fourrure, des fils de laine ou des poils de chevaux et même de la peinture.

Tapis de feutre brodé. Institute of Archeology and Ethnography, Siberia © The Siberian Times

Univers fantastique
Les dessins représentent un univers animalier très varié, voir fantasmagorique. La jeune femme, comme d’autres momies retrouvées dans les environs, arbore aussi de nombreux tatouages représentant ces étranges créatures. Grace à d’autres tombes, on sait que les mêmes dessins étaient utilisés pour les tatouages comme pour les broderies. Ces motifs, souvent très complexes, avaient certainement un rôle de protection spirituelle comme cela a été attesté dans d’autres cultures.

Motifs traditionnels Pazyriyk – lion et cerfs. Institute of Archeology and Ethnography, Siberia © The Siberian Times

Dessins des tatouages de la “princesse Ukok” – Dessin d’Elena Shumakova (Institute of Archeology and Ethnography, Siberia) © The Siberian Times


Les Pazyriyks ont ainsi intégré les traditions et expériences des peuples sédentaires qui vivaient autour de leur vaste territoire. On retrouve des influences chinoises, iraniennes et même méditerranéennes. D’une certaine manière, la jeune femme était un parfait exemple de fusion culturelle.

Traduction libre d’un article du Siberian Times (avec leur aimable autorisation)

Autre source : Pazyryk Needlework, TRC Leiden