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Rencontre avec une brodeuse irlandaise, parisienne de coeur, qui explore le regard sur la Femme.
Photos – © Rebecca Devaney– photos protégées par copyright – merci
Interview Claire de Pourtalès

Formation
Rebecca Devaney est diplômée du National College of Art and Design de Dublin (Irlande), avec une spécialisation en Arts du Textile. Après avoir voyagé et travaillé comme professeur pendant 10 ans, elle revient à Dublin pour compléter ses études en Arts du Textile, et finalement s’inscrire à l’École Lesage de Paris où elle décroche le titre de Brodeuse Haute Couture.

Rebecca Devaney – Ecole Lesage, détail

Thèmes
Rebecca s’intéresse surtout aux rôles masculins-féminins dans la société, et en particulier de leurs implications pour les femmes, les idéaux sociaux de beauté et la construction de la féminité – à la fois interne et externe. Elle s’inspire de la littérature, de la poésie et de l’histoire du costume qui décrivent l’expérience féminine. Elle utilise l’effet à la fois évocateur et controversé des poupées pour explorer ces thèmes et les développer.

L’artiste est tombée amoureuse des tissus et de la broderie comme outil artistique la première fois qu’on lui a demandé de créer des échantillons à l’université. Les possibilités lui semblaient infinies : avec un seul petit point elle pouvait explorer et expérimenter les textures, les échelles, les tons, les couleurs, la répétition, les matières et les fonds. Un morceau de tissu pouvait être plié, froncé, plissé, élimé, usé, déteint. Pour répondre à sa nouvelle passion, Rebecca apprend les travaux d’aiguilles traditionnels, la broderie libre à la machine, la broderie digitale, la manipulation du textile, le tissage, les techniques de teintes naturelles, la sérigraphie, l’impression au tampon, et la construction de vêtements. Elle combine toutes ces techniques pour sculpter, embellir et broder ses œuvres.

Elle reste fascinée par le pouvoir de la broderie et combien les tissus et les vêtements évoquent de souvenirs et d’émotions. Elle s’inspire ainsi des artistes contemporains comme Lise Bjorn Linnert, Mr Finch, Yinka Shonibare ou Zoe Buckman. Les livres d’Erica Wilson, Rozsika Parket et Sheila Paine lui enseignent l’histoire de la broderie, de ses techniques et l’évolution des styles. Les dessins de mode et les peintures d’Elisabeth Vigée Le Brun, François Boucher, James Tissot, Henri Matisse ou encore Gustave Klimt restent des sources illimitées pour ses recherches dans la mode, la création des silhouettes et des styles, l’utilisation des matériaux et des couleurs. Le Théâtre de la Mode de Christian Bernard (1945) comme les merveilleuses broderies Haute Couture de Charles Frederick Worth ou Christian Dior sont les créations qui ont amené notre artiste à s’inscrire à l’Ecole Lesage.

Poupées de l’Ombre, réponse au poème de Eavan Boland

Les Poupées
Chaque série de poupées s’inspire d’un poème. Après quoi vient la recherche historique, littéraire, artistique. Rebecca recherche aussi quels étaient les courants à la mode, et les techniques de broderie de cette époque. Elle dessine ses croquis puis explore les matières et les couleurs, essaie des techniques et finalement commence à créer chaque poupée et sa robe. L’ossature est composée de fil de fer ou de mannequins miniatures que possèdent généralement les couturières. Les robes sont réalisées en suivant les patrons de l’époque, généralement trouvés auprès de Janet Arnold.

Les Poupées de l’ombre – détail

Une réponse aux Poupées de l’Ombre
Cette série a été inspire par le poème Shadow Doll (Poupée de l’Ombre) de Eavan Boland, poème qui résonne fortement chez notre artiste. Le poète réfléchi à l’expérience de la femme qui doit se soumettre à ce que la société attend d’elle, dans ses relations comme dans son mariage. Peut-elle se réaliser pleinement, définir son identité individuelle dans ces conditions ? Quelles sont les répercussions, les conséquences et les sacrifices que cela engendre ? La série peut ainsi être perçue comme une histoire visuelle d’une métamorphose visant à libérer la femme alors qu’elle s’éloigne de la beauté, de l’élégance, des robes de mariages compliquées, pour révéler les crinolines répressives qui se cachent dessous. Peu à peu ces restrictions se désagrègent et la femme se libère de toutes ces oppressions. Un hippocampe peu à peu émerge, étrange compromis dans l’établissement des rôles sexués. Rebecca incorpore de la broderie à la main, à la machine, manipule des tissus, sculpte les fils de fer, le papier, ajoute des collants et de la cire.
Pour chaque poupée, Rebecca utilise un vêtement provenant des femmes de sa famille : le rideau en filet de son arrière-grand-mère, le vêtement de baptême d’une de ses grand-mères et le fond de robe en soie de l’autre, le châle de dentelle de sa mère et une blouse de sa tante.

Désintégration de la robe et de la crinoline – l’hippocampe apparait…

 

Croquis de l’hippocampe

 

Une réponse au poème de Yeats Lui qui aurait voulu pouvoir offrir le Ciel

Une réponse au poème de WB Yeats, Lui qui aurait voulu pouvoir offrir le Ciel (Aedh Wishes for the Cloths of Heaven)
Ce poème est généralement perçu comme dédié à Maud Gonne, magnifique actrice, à la fois féministe et révolutionnaire, objet de l’amour passionné et non partagé de Yeats – et sujet d’un nombre infini de ses poèmes.
Dans cette série, Rebecca explore les différentes manifestations de l’amour sous le regard intense de l’homme. Ses robes portent des noms suggestifs : L’Archétype de la Déesse et L’Idéal Féminin. Ici Rebecca utilise la broderie à la main, à la machine, de la broderie digitale, de l’impression digitale, des fleurs de soie, des perles et des matériaux recyclés ou trouvés, finement décorés. Avec Acceptance (Acceptation – la poupée nue, au-dessus des autres), elle travaille avec la céramiste Sarah Wegersma pour découvrir ce que serait la femme qui serait aimée pour ce qu’elle est, vue comme elle est, une fois que toutes les constructions sociales tombent et que sa transparence complète se révèle. Quel regard l’homme lui porte-t-il alors ? L’or présent sur chaque poupée signifie la construction de la femme comme un trophée, voir un objet inanimé. A mesure que la déstructuration se fait, cet or se détache aussi.

Cette série s’inscrit dans un mouvement à venir car de nombreux thèmes sont encore à développer autour de ces idées.

Vous pouvez trouver d’autres détails, descriptions et images du travail de Rebecca via ce lien.

L’Archétype de la Déesse