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Florina Cismaru est née en Roumanie, un pays bien connu pour ses magnifiques broderies. Elle a décidé de broder une des fameuses « blouses roumaines » et j’ai voulu la suivre dans son aventure aux sources de sa culture.

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Modèle tirée de la collection de Gabriel Boriceanu

Florina a choisi une blouse de la région de Tara Hategului, située entre Brasov et Timişoara, au sud-ouest de la Transylvanie. Traditionnellement brodée sur du chanvre ou du coton, cette blouse est localement connue sous le nom de « inia ».
Florina s’est inspiré d’une blouse de la « Collection ethnographique de Gabriel Boriceanu« .

Quelle est votre histoire avec la broderie ?
Mon arrière-grand-mère était une artiste de l’aiguille : tapisserie, couture, etc. Malheureusement elle est décédée quand j’étais très jeune. Après la période communiste, ma famille n’a pas gardé grand-chose d’elle : une blouse et un kilim (tapis tissé et non noué). C’est donc par moi-même que j’ai appris mes premières techniques de broderie.

Photo tirée du livre de Romulus Vuia, “Portul popular din Tara Hategului”. Costumes de Tara Hategului. Les vêtements sont ici très simples car la vie dans les montagnes, au cœur de l’ancien Royaume de Dacie, était très dure. Cette région conserve de nombreuses traces de l’époque Romaine et du Moyen-Âge. Il existe des liens historiques entre cette région et celle de Florina, ce qui explique peut-être son choix.

Ce sont ensuite les articles de Martine Claessens qui m’ont vraiment fait découvrir cet art : elle sait décrire avec talent les traditions roumaines et la richesse de notre héritage.
L’article qui a le plus retenu mon attention est « Le langage secret de la Roumanie » (article traduit sur Le Temps de Broder). Avant cet article, je n’avais pas réalisé l’importance de nos costumes dans l’histoire et la culture de nos ancêtres. Je me suis sentie honteuse qu’une étrangère en sache plus sur mon pays que moi-même. J’ai aussi découvert l’Association Semne Cusute (Sewn Signs), ce qui m’a amené à un nouveau niveau d’engagement. J’apprends beaucoup avec ce groupe et je rencontre de nombreuses femmes talentueuses et passionnées.

Florina au travail

Que vous apporte la broderie ?
Quand je brode je suis très concentrée. J’oublie le lieu et l’heure. Mais ce que j’aime le plus c’est apprendre : c’est un univers infini qui m’offre une mine passionnante à découvrir. J’y consacre plusieurs heures par jour !
Je viens de la région de Mehedinti (Sud-Est de Timisoara), qui a une longue et riche histoire. Je trouve toujours de très belles pièces dans les villages qui m’entourent. Mais les traditions ne sont malheureusement plus vivantes.

Quelles sont vos sources ?
J’utilise toutes les ressources disponibles : livres, internet, musées. Dans ma ville il m’est impossible de trouver du matériel de qualité pour broder, je dois donc passer commande sur internet. Mais je trouve parfois de jolies choses dans les brocantes.

A travers les réseaux sociaux je partage mes trouvailles et j’essaie de maintenir cette tradition vivante. Ce qu’on nommait « classique » ne l’ai plus. Beaucoup de nos fameuses « blouses roumaines » sont en fait réalisées à la machine en Chine, Turquie ou même en Roumanie. Il n’y a plus de lien avec la tradition, c’est uniquement du commerce. Le sens esthétique a ainsi perdu son identité. Il y a quelques jours, ma voisine m’a montré une « blouse roumaine traditionnelle » qui venait de Chine et n’avait aucun lien avec mon pays. Cela m’a rendu triste : il y a 100-200 ans mes ancêtres créaient de vraies œuvres d’art, et maintenant…

Votre projet : pourquoi ce motif, cette blouse ?
J’aime son élégance et sa simplicité. Le noir m’attire aussi.
Je vais broder ma blouse avec du coton sur du chanvre. Le point est appelé « cusut urzit pe fir » et ressemble au tissage. On brode de gauche à droite, puis on tourne le tissu et on repart dans l’autre sens. On retrouve cette technique dans les broderies liturgiques du 14-15ème siècles et dans les décorations des chemises portées à la cours entre le 14ème et le 17ème siècle. De manière intéressante, le point utilisé pour les kimonos koginsahsi est très similaire. J’espère ensuite pouvoir la porter !

A voir sur Facebook : The Ethnographic Museum of Transylvania 

Photos tirées du livre de Dimitrie Comsa, “Din ornamentica romana”